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LA CROYANCE

Dernière mise à jour : 19 oct.

Croyance et savoir

Si le savoir est nécessairement savoir de la vérité (car savoir une information qui se révélerait être fausse, ce ne serait pas réellement savoir), il s'en faut de beaucoup qu'une croyance soit, elle, systématiquement fausse. On peut parfaitement croire une chose qui s'avère être vraie. Ce qui distingue le savoir de la croyance n'est donc pas le partage entre le vrai et le faux. Ce qui caractérise le savoir, écrit Platon dans le Théétète, c'est qu'il constitue une « croyance vraie et justifiée ». Le savoir est donc lui-même un certain type de croyance, défini par deux caractéristiques complémentaires : d'abord, c'est une croyance vraie ; ensuite, c'est une croyance justifiée.


Première caractéristique : c'est une croyance vraie. Cela signifie donc que toute croyance n'est pas systématiquement fausse, puisque le savoir défini comme une espèce de croyance, est une croyance "vraie". Mais cette première caractéristique ne suffit manifestement pas pour qu'il y ait, à proprement parler, savoir. Tant que cette croyance manque de justification, elle ne demeure encore qu'une simple opinion. Tant qu'on ignore pourquoi la somme des trois angles d'un triangle fait nécessairement 180°, on peut y croire parce que l'on fait confiance au maître, mais cette croyance demeure indiscernable d'une simple opinion. On pourrait donc dire que savoir ce n'est pas seulement savoir la vérité, mais que c'est aussi savoir pourquoi c'est vrai.


Il y a bien une différence entre une opinion "vraie" et une opinion "fausse", une différence objective entre croire quelque chose de vrai et croire quelque chose de faux. Mais, pour celui qui croit, subjectivement, cette différence est indiscernable, parce qu'il ne dispose pas de la justification qui lui permettrait de comprendre pourquoi sa croyance est vraie... et non pas fausse. Croire à quelque chose, c'est par principe croire que cette chose est "vraie" ! Autrement, on ne la croirait pas. Mais cette croyance pourrait aussi bien s'avérer "fausse" sans qu'on ne le sache. Faute de savoir pourquoi sa croyance est vraie, nul n'a les moyens de savoir si elle l'est réellement. Il n'y a pas, subjectivement, pour celui qui croit, de différence manifeste entre une croyance vraie et une croyance fausse. Ce qu'il faudrait, pour que la croyance se transforme en authentique savoir, c'est une preuve manifeste : par exemple, la révélation des lettres écrites par la marquise de Merteuil et le Vicomte de Valmont, tout à la fin du roman de Choderlos de Laclos, Les liaisons dangereuses. Là, la vérité éclate, il n'est plus possible de l'ignorer! Ou alors, le geste décisif par lequel Lorenzo (dans la pièce de Musset, Lorenzaccio) met à exécution son projet d'assassiner le duc Alexandre. Là, on ne se paie plus de paroles, il y a une preuve, un acte ! Ou encore la publication des Pentagone Papers qui révèle au grand public les actions du gouvernement américain pendant la guerre du Vietnam. Tant que cette preuve, cette justification, manque, il n'y a pas de différence entre celui qui croit à une chose fausse et celui qui croit à une chose vraie.


C'est dire qu'en l'absence de preuve définitive, il y a toujours une grande porosité qui existe entre une croyance fausse et une croyance vraie. Par exemple, Cécile Volanges croit que Danceny l'aime fidèlement, même quand cette croyance a quelque peu cessé d'être vraie, puisque Danceny, à la fin du roman, est tout occupé par les beaux yeux de la marquise de Merteuil. Le passage de la vérité à l'erreur se fait insensiblement, sans que la croyance se soit modifiée et sans que ce sur quoi elle se fonde (la simple confiance au discours de l'autre) ait disparu. De la même façon, la marquise de Merteuil « fait savoir » au vicomte tout ce qu'elle entreprend pour corrompre Cécile de Volanges ; mais dans la partie IV, elle prétend aussi lui « faire savoir » quand elle sera à Paris alors qu'en réalité elle lui fait plutôt "croire" qu'elle n'y est pas encore . A Danceny, lettre CXLVI : « Enfin, je pars mon jeune ami, et demain au soir, je serai de retour à Paris. (...) Ainsi, je vous demande le secret sur mon arrivée. Valmont même n'en sera pas instruit ». Le motif qui poussait donc Valmont à croire une chose vraie est exactement le même que celui qui le porte désormais à croire une chose fausse. Et inversement, dans Lorenzaccio : le motif qui porte le Duc à croire que Lorenzo est de son côté est exactement le même que celui qui porte Philippe à croire que Lorenzo est du sien. D'ailleurs, comment savoir qui a raison ? Si le lecteur ne dispose pas d'autres renseignements que ceux que les protagonistes possèdent, il n'a -tout comme eu -aucune preuve définitive qui lui permettrait de trancher la question et de substituer à la simple croyance une authentique connaissance. Par exemple, le lecteur lui-même est dans le même embarras devant l'épisode de l'épée. Que faut-il croire ? Que Lorenzo est un lâche, ou bien qu'il fait seulement semblant ?


Les différents degrés de la croyance

Cette différence entre la simple croyance et un authentique savoir entraîne deux conséquences intéressantes : d'abord, elle amène à substituer à une logique binaire d'opposition ("savoir et croire"), une logique graduelle. Le savoir est lui-même, comme on l'a vu, une forme de la croyance, mais une croyance qui acquiert un grand degré de certitude du fait qu'elle est pleinement fondée. En dessous de ce degré supérieur, nous trouvons tout un ensemble de croyances qui sont plus ou moins bien fondées, plus ou moins bien justifiées, et qui s'accompagnent donc de degrés très différents de certitude. Thomas d'Aquin, dans la Somme Théologique, propose ainsi une typologie des différentes formes de croyance : « Parmi les actes de l'intelligence, en effet, certains comportent une adhésion ferme (...) comme il arrive quand on considère les choses dont on a la science ou l'intelligence, car une telle considération est désormais formée. Mais certains actes de l'intelligence comportent une réflexion informe et sans adhésion ferme, soit qu'ils ne penchent d'aucun côté, comme il arrive à celui qui doute ; soit qu'ils penchent davantage d'un côté mais sont retenus par quelque léger indice, comme il arrive à celui qui a un soupçon ; soit qu'ils adhèrent à un parti en craignant cependant que l'autre ne soit, comme il arrive à qui se fait une opinion ».


Comme exemple du "doute", nous pouvons prendre l'exemple de la présidente de Tourvel aux pires moments de son indécision, ou bien le chevalier Danceny lorsqu'il écrit au vicomte de Valmont , dans la lettre XCII : «Tâchez, surtout de vous rappeler ses paroles. Un mot pour l'autre peut changer toute une phrase ; le même a quelquefois deux sens... Vous pouvez vous être trompé : hélas, je cherche à me flatter encore ».


Le "soupçon" suppose quant à lui un degré supérieur de conviction, une hésitation moins franche. Tel, par exemple, le soupçon du cardinal Cibo devant la scène de l'épée : Cibo croit sincèrement que Lorenzo est dangereux, mais la lâcheté de Lorenzo le fait légèrement douter : « cela est-il croyable ? ». Inversement, Giomo ne soupçonne pas Lorenzo, jusqu'au moment où il le voit penché au-dessus du puit alors que la côté de maille a disparu  (acte II, sc 6) : « Je voudrais retrouver cette cotte de mailles pour m'ôter de la tête une vieille idée qui se rouille de temps en temps. Bah ! Un lorenzaccio ! ».


Au dernier degré de conviction, avant la conviction de celui qui "sait", il y a "l'opinion". Là, aucun soupçon ne vient alimenter la crainte de se tromper ; mais cela ne fait pas tout à fait disparaître le doute. Ainsi, scène 6 acte 1 de Lorenzaccio : Catherine : « N'ai-je pas vu briller quelquefois dans ses yeux le feu d'une noble ambition ? Sa jeunesse n'a-t-elle pas été l'aurore d'un soleil levant ? Et souvent encore aujourd'hui il me semble qu'un éclair rapide... Je me dis malgré moi que tout n'est pas mort en lui ».


Cette grande diversité des modalités de la croyance rend l'intrigue beaucoup plus intéressante : entre les moments où les personnages passent brusquement de l'ignorance au savoir (toutes les scènes de "Révélation" qui font l'effet d'un coup de tonnerre dans la diégèse : la publication des lettres de Merteuil, l'assassinat du duc, la publication des Pentagon Papers...), les évolutions ordinaires se produisent de façon plus subtile : il y a d'abord des façons de présumer de la vérité qui ne sont pas encore définitives, des doutes, des soupçons, des jalousies, des opinions, qui dessinent tout un espace intermédiaire entre ce qui est objectivement vrai et ce qui est objectivement faux. Tous ces états intermédiaires produisent un effet permanent de tension dramatique !


L'instabilité de la croyance

La deuxième conséquence intéressante, c'est que dans la mesure où la croyance -tant qu'elle ne constitue pas un authentique savoir -manque de justification, elle manque aussi inévitablement de stabilité. C'est la raison pour laquelle Platon, à la fin du Ménon, compare l'opinion aux statues de Dédale qui ne sont pas fixées sur leur socle : "Les opinions vraies, aussi longtemps qu'elles demeurent en place, sont une belle chose et tous les ouvrages qu'elles produisent sont bons. Mais ces opinions ne consentent pas à rester longtemps en place, plutôt cherchent-elles à s'enfuir de l'âme humaine; elles ne valent donc pas grand-chose, tant qu'on ne les a pas reliées par un raisonnement qui en donne l'explication". Manière de reconnaître que ce qui caractérise la croyance, contrairement au savoir, c'est son instabilité chronique.


Une fois qu'on sait ce que l'on sait, il est difficile de faire comme si on ne le savait pas. Le savoir, parce qu'il sait ses propres raisons, n'est pas susceptible de s'oublier ; il est rendu fixe par les raisons qui le fondent. Quand on sait, on sait. C'est pourquoi Valmont ne peut pas nier, devant la présidente de Tourvel, les faits qui lui sont reprochés et qui concernent son inconduite passée. Ces faits sont de notoriété publique, ils sont connus et reconnus et Valmont ne peut donc pas prétendre qu'ils sont faux. Mais il peut faire croire qu'il a changé, ce qu'il s'efforce de faire : "déjà vous me supposez léger et trompeur; et abusant, contre moi, de quelques erreurs, dont moi-même je vous ai fait l'aveu, vous vous plaisez à confondre ce que j'étais alors, avec ce que je suis à présent" (Lettre LII).


En revanche, la croyance elle, est beaucoup plus soumise à des lois intimes de variation. Une opinion (« elle m'aime ») peut facilement laisser place à un soupçon (« peut-il réellement m'aimer en se comportant de cette manière ? »), puis de là au doute le plus angoissant (« m'a-t-il jamais aimé ? Me serais-je trompée ? »). La présidente de Tourvel parcourt toutes ces étapes, passant de l'une à l'autre, dans un sens puis dans l'autre. Lettre CXXXII à madame de Rosemonde : « Comment ne croirais-je pas à un bonheur parfait, quand je l'éprouve en ce moment ? » ; Lettre CXXXV : « Valmont... Valmont ne m'aime plus, il ne m'a jamais aimée. L'amour ne s'en va pas ainsi » ; Lettre CXXXIX : « Tout est oublié, pardonné ; disons mieux, tout est réparé. A cet état de douleur et d'angoisses, ont succédé le calme et les délices. O joie de mon cœur, comment vous exprimer ! Valmont est innocent ; on n'est point coupable avec autant d'amour ». Bref, elle change d'opinion, d'un jour à l'autre, comme on change de chemise.


Or c'est en raison de cette caractéristique, le fait d'être facilement changeante et variable, que la croyance s'offre beaucoup plus que le savoir à une manipulation efficace. Il est assez difficile de déplacer une statue qui est fermement fixée à son socle. Mais il est beaucoup plus facile de le faire, en revanche, lorsque cette statue n'est pas fixée ou bien trop mal fixée. Autrement dit, l'opinion prête plus facilement le flanc à la manipulation que le savoir. Cette dernière remarque nous amène proprement à la question du « faire croire », considéré comme l'action qu'un homme est susceptible de produire sur la croyance d'un autre homme, pour la modifier à son gré.


L'action sur la croyance

La croyance, du fait qu'elle manque de fixité, se prête aisément à une intervention extérieure. En quoi consiste-t-elle, au juste, cette intervention ? Bien sûr, la réponse semble tellement évidente que la question semble assez idiote : elle consiste à « faire croire ». Mais précisément, qu'est-ce que « faire croire » ? Ce qui distingue la croyance du savoir, c'est qu'elle manque d'un fondement qui la rendrait certaine. Par conséquent, ce qui caractérise la croyance, c'est son absence de fermeté. Or, celui qui s'efforce de « faire croire » peut-il réellement se contenter d'un tel état ? En produisant et en manipulant la croyance, il ne ferait dans ce cas que produire une opinion, un soupçon ou un doute, c'est-à-dire une adhésion qui ne serait jamais ni pleine ni entière. En produisant simplement de la « croyance », en se contentant de faire douter, de faire surgir un soupçon, ou bien de faire opiner, le menteur serait-il satisfait ? Aurait-il vraiment atteint son but ?


Il y a bien sûr des cas où celui qui cherche à « faire croire » ne recherche pas davantage. Produire un vague soupçon, une vague inquiétude, lui suffit amplement. Dans ces cas de figure, l'action qu'on opère sur la croyance consiste moins à susciter la croyance que, au contraire, à tâcher de la contrarier.. Il s'agit plutôt dans ce cas de rendre incrédule, afin de se débarrasser d'une croyance gênante en y introduisant le vers du soupçon. Nous pourrions dire qu'il s'agit de "faire douter" plutôt que de "faire croire". Tel est le principe de la diffamation, de l'accusation gratuite, des insinuations, des rumeurs et des bruits de couloir. Tel est aussi le principe des faits alternatifs, que certains gouvernements érigent en stratégie politique : non pas engager l'opinion publique à les croire, mais du fait même que ces faits sont énoncés avec aplomb, miner la confiance dont les faits véritables sont l'objet et faire passer ces faits pour des simples opinions. On sait que cette stratégie est largement utilisée aujourd'hui par certains représentants politiques : ils se fichent bien d'être crûs tant que leur parole suffit à faire douter de ce qui était tenu pour évident.


Pourtant, même dans ces cas où il s'agit plutôt de faire douter que de faire croire, l'efficacité de la manipulation suppose un élément de confiance absolue. En effet, même là où il s'agit seulement d'introduire le doute dans une croyance, on ne peut y parvenir efficacement que si la personne qui commence à douter n'estime avoir aucune bonne raison de douter du motif qui la pousse à douter. Même si elle ne fait que douter, il faut tout de même qu'elle ait une sérieuse raison de douter, et de cette raison elle ne doit pas douter ! On en revient donc à l'expression « faire croire », prise dans son sens le plus propre. Il s'agit bien de "faire croire", et non pas de "faire douter". C'est dire qu'il s'agit de produire, dans l'esprit de celui que l'on manipule, une croyance qui aurait toute l'apparence d'un authentique savoir. L'apparence seulement, puisque cette croyance manque d'une justification suffisante ; mais l'apparence tout de même, puisque cette croyance doit revêtir l'allure d'une conviction intime, contrairement à ce qui se passe simplement quand on a une opinion, un doute ou un soupçon.


Par conséquent, pour que le mensonge soit efficace, il importe que celui qui est la dupe ne sache pas qu'il "croit". Tout au contraire, il doit croire qu'il sait. Faire croire consiste donc à produire, dans l'esprit de celui qui doit croire, une forme de croyance bien particulière. D'un côté cette croyance n'a rien d'un authentique savoir puisqu'elle n'est fondée réellement sur aucune preuve fiable ni incontestable ; mais d'un autre côté, cette croyance ne doit pas être consciente d'elle-même comme croyance. Elle doit avoir au contraire le degré de certitude qu'on attache habituellement à la connaissance sûre et certaine. A défaut de susciter ce type de croyance, le mensonge est condamné à échouer.


Préjugé et Foi

Or, ce type de croyance a quelque similitude avec ce que Thomas d'Aquin présente comme l'acte de foi : « cet acte qui consiste à croire contient la ferme adhésion à un parti : en cela le croyant se rencontre avec celui qui a la science et avec celui qui a l'intelligence ; et cependant sa connaissance n'est pas dans l'état parfait que procure la vision évidente ; en cela il se rencontre avec l'homme qui est dans le doute, dans le soupçon ou dans l'opinion ». De fait, quand un chrétien, un juif ou un musulman professe sa foi, en disant « je crois », ce qu'il veut dire c'est simultanément deux choses : d'une part, en affirmant sa croyance (credo) il affirme bien ne pas savoir. S'il savait il n'aurait pas besoin de croire, et la croyance religieuse ne serait pas une affaire de foi. En ces matières, on est condamné à croire, faute de pouvoir savoir. Thomas d'Aquin insiste bien sur ce fait que celui qui a la foi a peut-être d'excellentes raisons d'avoir la foi. Mais si ces raisons sont suffisamment convaincantes pour l'inciter à croire, elles ne sont nullement suffisantes en revanche pour le dispenser de croire, en s'imaginant qu'il sait.


Mais en même temps, cette croyance est bien particulière, parce que -idéalement -elle proscrit toute expression d'un doute. Une foi qui est traversée par les doutes, c'est déjà une foi qui chancelle, une croyance qui manque de fermeté et qui menace bientôt de disparaître : « homme de peu de foi », dit parfois le Christ à ses disciples. Donc, la "foi" est bien une simple croyance et non un savoir ; et en même temps, c'est une croyance qui s'accompagne d'une réelle conviction subjective, comme si on savait. Comment expliquer, demande Thomas d'Aquin, cet excès de la conviction par rapport aux raisons qui la fondent ? Qu'est-ce qui explique qu'on soit convaincu d'une chose au sujet de laquelle on ne dispose que de preuves plus ou moins probantes. Pour expliquer cet écart, Thomas d'Aquin fait intervenir un autre élément : la foi n'est pas seulement un acte d'adhésion intellectuelle ; si c'était le cas, la conviction ne pourrait jamais excéder les raisons intellectuelles que l'on a de croire. Pour expliquer ce surcroît de confiance, il faut considérer la foi comme un acte qui fait intervenir une certaine volonté, une volonté de croire : « l'intelligence du croyant est déterminée à une chose non par la raison mais par la volonté ».


Le mécanisme qui est à l'œuvre dans l'esprit de celui qui "croit savoir" semble exactement similaire au mécanisme qui est à l'œuvre dans l'acte de "Foi". Dans les deux cas, c'est la volonté qui meut l'intelligence du croyant et qui le force à adhérer à une opinion, en y mettant toute sa force de conviction. Mais il y a tout de même, entre les deux, une différence manifeste : celui qui « croit savoir », contrairement à celui qui a la foi, ignore les ressorts véritables de sa conviction. A tort, il pense que sa conviction est fondée sur des preuves évidentes et suffisantes, des preuves incontestables. Contrairement à celui qui a la foi, il ignore en réalité que cette conviction est d'abord fondée sur sa volonté de croire, et que c'est seulement cette volonté de croire qui l'incite à considérer que les raisons dont il dispose sont des preuves suffisantes et incontestables. La personne qui « croit savoir » imagine que sa conviction est une déduction purement intellectuelle, qui s'appuie sur des preuves solides ; alors qu'en réalité, c'est l'inverse : c'est sa conviction, sa ferme volonté de croire, qui l'amène à imaginer que les preuves dont il dispose sont des preuves solides. Sans cette explication, on ne pourrait pas du tout comprendre pourquoi certaines preuves, pourtant tout à fait suffisantes, ne suffisent pas à le détourner de sa fausse croyance, tandis que d'autres preuves -tout à fait boiteuses -suffisent à le persuader.


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